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Replanter des Vergers Traditionnels pour Sauvegarder les Variétés Anciennes

Face à la menace de l’extinction des variétés fruitières anciennes, replanter des vergers traditionnels s’avère crucial. Ces écovergers, alliant arbres fruitiers et prairies, offrent une alternative durable aux vergers modernes intensifs. En préservant la biodiversité et en résistant aux maladies, ils représentent une richesse patrimoniale et écologique inestimable. Et ils constituent une voie de diversification agricole très intéressante.

Photo T.Heins : un pré-verger de 14 has dans le Nord Meusien, regroupant une quarantaine d’anciennes variétés de pommes et poires, planté en novembre 2019 et 2020.

 

Qu’est-ce qu’un pré-verger ?

Le pré-verger ou verger traditionnel (aussi appelé «verger haute-tige», «verger de plein vent» ou «écoverger») est un type de verger associant l’arbre fruitier de haute tige à la prairie. C’est une forme d’agroforesterie. Les arbres fruitiers (pommier, prunier, poirier, cerisier), sont plantés en alignements réguliers et greffés sur des porte-greffes francs du type Bittenfelder (pommier), Kirschensaller (poirier), Myrobolan (poirier) ou Merisier (cerisier) pour tirer parti de la vigueur de leur système racinaire. Pour le pommier, une greffe intermédiaire est réalisée en pied avec des variétés telles que Pomme d’Or, Président ou Gueule de Mouton, assurant un tronc bien droit et non porteur de maladies, comme le chancre par exemple. Les variétés greffées en tête sont anciennes et robustes, choisies pour leur résistance aux maladies et la production de  fruits savoureux adaptés à divers usages.

Différences avec les Vergers Modernes

Contrairement aux vergers modernes qui peuvent atteindre une densité de 2 à 3 000 arbres par hectare en basse tige, les pré-vergers ont une densité de 80 à 100 arbres par hectare. En agroforesterie, l’espacement entre les lignes est fonction des contraintes liées à la mécanisation des cultures intermédiaires, variant entre 30 et 50 mètres. Loin des objectifs de production des vergers modernes, on n’utilise pas de pesticide chimique, ce qui rend ce modèle proche de l’agriculture biologique. Néanmoins, leur production fruitière n’est pas négligeable.

Les Bénéfices des Vergers Traditionnels

Le pré-verger offre de multiples avantages en phase avec les défis actuels du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, ainsi qu’un réservoir de diversité génétique fruitière.

 

  • Ces vergers ont une durée de vie longue, de 90 à 100 ans chez le pommier, et souvent beaucoup plus chez le poirier. Il s’agit donc d’un système de production multi-générationnelle.
  • Il permet de réintégrer de la biodiversité dans les systèmes agricoles : flore, faune.
  • Il préserve la fertilité du sol : le système pré-verger présente une grande autonomie en azote et en nutriments minéraux (phosphore et potassium).
  • Il limite l’érosion hydrique et le lessivage du sol de par la couverture herbacée permanente, la réduction de l’impact de l’eau de pluie par les houppiers des arbres et la teneur en matière organique élevée dans le sol.
  • Il demande peu d’énergie directe : les machines agricoles sont utilisées uniquement pour la récolte, le passage de la herse à prairie et le gyrobroyage éventuel.
  • Il est peu gourmand en énergie indirecte : pas d’irrigation, aucun traitement phytosanitaire et peu de fertilisation (réservée lorsque les arbres entrent en production pour maintenir celle-ci).
  • Il est un élément important du patrimoine paysager et culturel et embellit l’habitat rural. Pendant très longtemps, il a été à l’origine de ce que l’on appelait les ceintures vertes autour des villages, ils constituaient un espace transitoire entre le bâti et les cultures.
  • Il améliore le bien-être animal en apportant aux animaux une protection contre les intempéries et les fortes chaleurs estivales.
  • Il combine production de fruits, de lait, de viande, de bois éventuellement. Des études ont montré que la productivité agronomique totale du pré-verger (prairie, fruit) est supérieure de 6 à 15% à celle des mêmes productions conduites de manière dissociée. Avec des coûts très réduits, et sur une période très longue. Il est une voie de diversification agricole.

 

Si la plantation d’arbres fruitiers de variétés anciennes et adaptées à chaque région  redevient populaire chez les particuliers, grâce entre autre au travail remarquable de nos associations, nous avons peine à convaincre les agriculteurs de replanter ce type de verger. Pourtant, nous avons besoin des agriculteurs pour sauver et remultiplier ces  anciennes variétés.

 

La réalité des Aides en France et en Belgique

L’association des croqueurs de pommes du Nord Meusien a collaboré à l’implantation de vergers traditionnels chez quelques agriculteurs. Nous avons convié également, via le GAB55, les agriculteurs à visiter des vergers plantés entre 2018 et 2020. Lors de ces rencontres, les points techniques et économiques ont été abordés, sans tabou. Mais cela n’a donné lieu, pour l’instant, qu’à très peu de nouvelles réalisations. Tout au contraire de la Belgique, où nous nous sommes rendus ce 17 mai avec quelques membres de notre association,  dans la région de Ciney.  Cédric Guilleaume est arboriculteur et a replanté à ce jour plus de 50.000 fruitiers HT essentiellement chez des agriculteurs, en système pré-verger ou en agroforesterie. Faites le compte, ce sont plus de 500 has implantés. Et il n’est pas le seul à contribuer à ce plan de réintroduction du verger traditionnel HT. L’association belge Diversifruits recense actuellement les vergers replantés.

                                                                  Photo  T. Heins : pré-verger conservatoire dans la région de Ciney en Belgique. 

La plantation d’un verger haute tige représente bien sûr un investissement financier,  que l’on peut évaluer à 100-120 euros par arbre : achat des arbres, des tuteurs, des liens, des protections ovins (grillage) ou bovins (corset métallique), des poches grillagées pour protéger les racines des  arbres les premières années contre la dent du campagnol terrestre, l’apport de compost à la plantation, et le travail de mise en place (piquetage, trous à la minipelle, ….). Ainsi que les frais associés à la taille de formation, pour laquelle il vaut mieux faire appel à un professionnel.

Primes à la Plantation et au Maintien Bio

En France, il n’existe pas de code spécifique à la PAC pour le pré-verger. De même, la directive France Agrimer ne reconnaît pas le pré-verger. Les critères de densité minimale n’étant pas atteints, il n’y a pas de prime à la plantation octroyées.  Cependant, la Région Grand Est a initié une aide intitulée «soutien au développement et à la rénovation des vergers», de 25 à 28 euros par arbre HT planté, plafonnée à 40 % du montant des dépenses éligibles (plants, matériel et aide forfaitaire d’entretien sur les années improductives).

En Belgique, dans la région francophone (Région Wallonne), la situation est bien différente. L’agriculteur obtient une prime à la plantation de 37.5 euros par arbre HT. Mais l’élément le plus important, c’est le choix de la Belgique de soutenir l’agriculture bio en finançant les primes au maintien bio, qui sont cruciales pour cette filière.  La prime de maintien pour un pré-verger de 100 pieds/ha est d’environ 1 000 euros. La France n’a pas fait le choix de soutenir l’agriculture biologique, si ce n’est pendant les 5 années de conversion où l’agriculteur percevra une prime pour le pré-verger de plus ou moins 900 euros de l’ha. Cette différence dans la redistribution de l’enveloppe de la PAC explique l’engouement des agriculteurs belges pour la replantation de vergers traditionnels.

La valorisation des fruits issus du verger traditionnel.

Pink lady, Granny Smith, Jonagored, Jonagold, Golden Delicious et Gala, voilà à peu près tout ce que nous trouvons aujourd’hui comme pommes sur nos étals fruitiers. Le choix en poires, prunes ou cerises est encore plus limité alors que la diversité fruitière pouvait autrefois s’enorgueillir de plusieurs milliers de variétés.

Les fruits des vergers traditionnels sont issus de variétés anciennes, qui ne sont pas connues des consommateurs. Il est important de travailler sur les aspects marketing et commerciaux, pour éduquer le consommateur. Ce que fait très bien la structure Reinette & Co en Belgique.

La productivité fruitière du verger de haute tige est souvent estimée comme faible, à raison de 10 à 15 tonnes / ha (en considérant une production de 200 kg / arbre tous les 2 ans à raison de 100 arbres /ha – phénomène d’alternance). Le modèle de valorisation de ces fruits est basé sur une récolte manuelle de fruits de table, soit 15% des fruits accessibles sur les branches les plus accessibles. Les fruits tombés naturellement de l’arbre sont valorisés sous forme de jus ou de cidre. Si on ne tient pas compte du fruit de table mieux valorisé, les prix donnés aux producteurs pour les fruits tombés sont de 43 cents le kilo départ verger, ou de 20 cents pour des fruits sur pieds. Dans ce dernier cas, la structure s’occupe de la récolte. Ce n’est pas si mal si on compare ce revenu potentiel à celui d’un ha de blé (8 tonnes à 250 euros la tonne suivant les cours de marché – mai 2024).

                                                            Photo T. Heins : Pré-verger dans le Nord Meusien dont les arbres ont plus de 80 ans.

    Photo T. Heins : le pâturage par des bovins ou ovins est la solution idéale pour le pré-verger. Eviter les chevaux et chèvres qui s’attaqueront aux jeunes arbres.

Propositions pour Encourager la replantation en France

Pour encourager la replantation des vergers traditionnels en France, il est essentiel de revoir les règles de redistribution des fonds de la PAC pour reconnaître et soutenir ce type de verger. Il est crucial de mener une enquête auprès des agriculteurs pour présenter les avantages des pré-vergers et déterminer les conditions favorables à leur replantation, qu’ils soient en conventionnel ou en bio. Les résultats de cette enquête pourraient ensuite être utilisés pour convaincre les décideurs politiques de la nécessité de mettre en place des aides spécifiques.

Et entre nous, croqueurs de pommes, ces prés-vergers ne sont-ils pas une occasion rare de conserver efficacement la variété emblème de notre association locale ?

 

Thierry Heins – Ingénieur Agronome – Président des Croqueurs de pommes du Nord Meusien – Exploitant agricole arboriculteur

 

 

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