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Expo de pommes à Kyustendil

Les variétés de fruits en Bulgarie – Visite de la station de Kyustendil

La sauvegarde de la biodiversité fruitière est le pilier de notre association « Les Croqueurs de Pommes ». Le programme d’identification génétique mené par l’INRA d’Angers à la demande de plusieurs associations nous permet d’y voir de plus en plus clair et de constituer cette base génétique dont certains caractères nous seront fort probablement utiles pour faire face aux enjeux de demain.

En Belgique, un travail tout aussi remarquable initié par Charles Populer dans les années soixante, et poursuivi par Marc Lateur de la station du CRAW – Centre de Recherche Agronomique Wallon – a permis de mettre en place tout un programme de diffusion de ces anciennes variétés au travers d’un réseau de vergers conservatoires et de pépiniéristes professionnels. Ce programme est d’ailleurs victime de son succès, puisque les pépiniéristes ne peuvent pas faire face à une demande en constante progression.  Plus de 25.000 fruitiers haute tiges et 12.000 fruitiers demi-tiges ou basse-tiges de ces anciennes variétés certifiées sont ainsi distribués chaque année.

Pour des raisons professionnelles, je me suis rendu régulièrement en Bulgarie ces derniers mois. La production de fruits représente une part non négligeable de l’agriculture bulgare. On y retrouve de nombreux vergers basse-tiges et demi-tiges, de  cerises, pommes, poires, abricots, prunes…. En Europe, on parle souvent de la « fruit belt » (ceinture de fruits) pour désigner cette vaste région, de l’Italie à la Hongrie, en passant par la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne, la Serbie, la Bosnie Herzegovine, la Croatie,  la Bulgarie, La Roumanie…., où  les vergers occupent  encore une place importante dans le paysage et l’activité agricole.

Je voulais en savoir un peu plus sur les espèces et  variétés cultivées en Bulgarie.  Existe-t-il un réservoir d’anciennes variétés ? Existe-t-il un programme de réintroduction des variétés les plus méritantes ? Je me suis donc rendu  le 21/04/2021 à l’Institut agricole de Kyustendil, à l’Ouest de Sofia, principal centre bulgare d’expérimentation en arboriculture.

La région de Kyustendil est réputée pour sa production de cerises et de pommes. Les amplitudes de  température importantes entre le jour et la nuit permettent de produire des fruits particulièrement gouteux avec un bon niveau d’acidité. L’institut agricole de Kyustendil situé à Yabalkovo (qui signifie littéralement le village de la pomme) teste depuis 1929 de nombreuses hybridations  afin de créer de nouvelles variétés de pommes, cerises et prunes. Depuis les années 2000, elle mène aussi des expérimentations dans le domaine de la vigne et des légumes.

J’avais préparé une présentation sur nos activités, afin d’engager la discussion sur les programmes d’identification des anciennes variétés et leur sauvegarde. J’ai été reçu par l’équipe du centre, et nous avons ainsi pu échanger sur de nombreux domaines, tout en visitant également la station.

 

Depuis sa fondation, le centre a créé 11 nouvelles variétés de cerises et 6 variétés de pommes. Sur une trentaine d’has de la station, de nombreux croisements sont réalisés entre les variétés pour tenter d’améliorer certains caractères. La station produit ses propres porte greffes par marcottage (M106, M09…).

Dimitar Sotirov, directeur adjoint de la station, véritable puit de connaissance des variétés bulgare et greffeur hors pair m’a fait découvrir les vergers de sélection et les différentes techniques de greffage.

La station dispose d’une collection  d’anciennes variétés. Ainsi, près de 280 variétés de pommes sont maintenues sur le site, ainsi que 110 variétés de prunes et 180 variétés de cerises.  Il n’existe néanmoins pas de programme de réintroduction de ces anciennes variétés, tant au niveau des particuliers que des professionnels. A ma connaissance, il n’existe pas d’association oeuvrant à la sauvegarde et à la réhabilitation des anciennes variétés. A l’image des pays de la « fruit belt », l’essentiel de la production bulgare de fruits est issu de variétés modernes cultivées dans des vergers industriels en basse-tiges ou demi-tiges. Il est très rare de retrouver dans le paysage des fruitiers hautes tiges, même chez les particuliers. Ce qui fait craindre la disparation de ces anciennes variétés.

Le centre réalise néanmoins une exposition annuelle de tous ces fruits anciens et modernes, et j’ai pu y déguster des pommes encore bien conservées. J’y ai rencontré des gens passionnés, conscients de l’érosion de la biodiversité fruitière.  Le personnel du centre a montré un intérêt évident pour le programme de génotypage de nos anciennes variétés – Corepom – INRA. Ce type de projet  n’existe pas en Bulgarie.

Passionnés par les eaux de vie de fruits (EDV), nous avons discuté également des variétés spécifiques à leur production. Dans les Balkans, les eaux de vie de fruits ont toujours la cote auprès des consommateurs. On parle ici de « rakias » ou « rakyas ». Ces EDV sont produites majoritairement à partir de variétés de raisin aromatique telles que  Muscat Ottonel, Moscatel, Tamyanka, Perla. Mais sont produites également des EDVs  d’abricot, de coing, de prune, de pomme, de framboise… Le rakia est traditionnellement consommé lors des repas, en accompagnement des salades telles que la  « chopska salade ». C’est la première catégorie de spiritueux consommée en Bulgarie, bien avant toute autre. D’autant plus que chaque famille dispose de quelques vignes et fruitiers et produit ainsi ses propres vins et alcools de fruits.

 En France, ces produits n’ont plus la cote auprès des jeunes générations qui consomment whisky (numéro 1 des ventes avec 200 millions de bouteilles consommées annuellement), gin, rhum, vodka, en grande partie sous forme de cocktails. Et chez les populations plus âgées, la consommation de digestifs est en net recul même s’il reste encore un noyau de véritables amateurs.  La consommation d’EDV ne représente plus que 0.4% de la consommation des alcools en France.

Pourtant les EDV sont des produits tout à fait naturels.  Ancrées dans l’histoire régionale, elles cochent toutes les cases aujourd’hui exigées par les consommateurs : petits producteurs, cultures locales pour beaucoup, fabrication artisanale, distillation discontinue, promesse « au plus près de la nature », de l’humain derrière l’alambic… Et on y déniche des merveilles, finement distillées, patiemment mûries, en France comme dans tous les pays de la » fruit belt ». Distiller les fruits de nos campagnes permet d’en préserver les  parfums,  et en les consommant, de ramener un peu de soleil de l’été pour s’en souvenir en hiver.

« La particularité de l’EDV de fruit, c’est qu’elle est triviale », me disait Bernard Baud, Président de la Fédération française des eaux-de-vie de fruits, et directeur général du groupe Massenez-Peureux. « Le consommateur doit ressentir la même émotion organoleptique que lorsqu’il mange le fruit mûr. Une EDV de poire, ça sent la poire, ça goute la poire. On doit retrouver l’arôme du fruit dans toute sa pureté. Le lexique de dégustation des EDV de fruits est donc assez simple.  

En général, les fruits qui conviennent le mieux à la distillation proviennent de  variétés spécifiques. Douce, douce-amère, amère, acidulée, chaque variété de pomme et poire cultivée en Normandie apporte sa note gustative au cidre, au pommeau et au calvados. Le kirsch de Fougerolles, qui dispose depuis peu également d’une AOC, est élaboré à partir d’une  dizaine de variétés de cerises spécifiques cultivées en prés vergers.

 

En Bulgarie, les EDV sont issues de variétés dites « locales » mais il est difficile de savoir si ces variétés sont anciennes, et connues ailleurs puisqu’aucune analyse génétique n’est pratiquée.  Les producteurs que j’ai interrogés me disent qu’ils utilisent les fruits à leur disposition, sans savoir s’il s’agit des variétés les mieux adaptées. Pour la Prune, les variétés les plus couramment citées sont la Stanley et la   Chachanska lepotitsa ou Jo-jo. En Serbie, les variétés Stanley, Pozegaca, Red Ranka et TrnovacaL’ sont prédominantes. Faute d’un programme d’analyse génétique au niveau européen, il est très difficile d’y voir clair.

 

Pourtant, les distillateurs de ces régions sont favorables à la réintroduction d’anciennes variétés mais aucun programme n’existe à ce jour. D’autre part, le problème est beaucoup plus complexe car tout arboriculteur qui décide de planter vise à l’équilibre économique. Et celui-ci repose sur la conjonction de 3 rentabilités. Lorsqu’un arboriculteur plante un arbre, il sait qu’il va  faire 70% à 80%  de sa rentabilité sur le marché du frais, 10 à 20% sur la transformation des fruits en jus, concentrés…. Le distillateur passe derrière. Dans beaucoup de pays en Europe, il n’y a plus de transformateurs et le marché des fruits de table s’est écroulé à cause des importations à tout va. Il  n’y a plus de rentabilité pour les variétés à distiller. Planter aujourd’hui un verger d’une variété à distiller qui n’a pas de débouchés pour le marché du frais/de table uniquement pour la distillation est quasiment suicidaire. Il faudrait vendre l’eau de vie à des prix que le consommateur n’est pas prêt à payer.

 

Thierry Heins – Les Croqueurs de Mouzay