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Les bonnes conditions de plantation d’une haie - Mise au point
Les bénéfices apportés par les haies sont multiples : structuration du paysage, refuge pour les insectes, oiseaux et tous les auxiliaires de culture en général auxquels elles apportent le gîte et le couvert, création d’effet brise-vent, régulation microclimatique, production de biomasse et de fruits, lutte contre l’érosion des sols, régulation hydrique, corridor écologique….
Les anciens avaient bien compris l’intérêt des haies. Mais la révolution agro-industrielle et le remembrement les ont bien malmenées. Récemment, la Région Grand Est en France et la Région Wallonne en Belgique (Yes We Plant) ont initié en 2020-2021 de vastes programmes de replantation de haies diversifiées. L’objectif était de 4000 kms en région wallonne à l’horizon 2024 et de 7000 kms en région Grand Est. Avec des aides financières à la clé. Il semble aujourd’hui que l’on soit loin du compte. Et ne soyons pas dupes, car on continue à en arracher chaque jour pour agrandir et rationaliser les parcelles agricoles. Certains prétendent qu’on en arrache plus qu’on en replante. On annonce un chiffre de 12500 kms de haies arrachées chaque année en France. On parle même de 20.000 kms de haies arrachées annuellement depuis 2017 selon des sources du ministère de l’agriculture.
L’arrachage est la conséquence de la diminution du nombre d’agriculteurs. Les exploitations et la taille des parcelles deviennent de plus en plus grandes. Et les nouvelles dispositions annoncées par le ministère de l’agriculture en réaction à la crise agricole ne vont pas dans le bon sens.
Ces programmes devraient être doublés d’un véritable contrôle sur l’arrachage. En France, il existe une police de l’environnement mais elle dispose de peu de moyens. Et celle-ci est fortement critiquée par les tenants de l’agro-industrie depuis le début de la crise agricole de janvier 2024. Il faudrait également revoir la méthodologie de calcul des surfaces minimales non cultivées que chaque agriculteur doit mentionner dans sa déclaration PAC (les 5% obligatoires), car le système est dévoyé. Ainsi une haie mono ligne de 100 mètres correspond à 1 ha de surface non cultivée – La SET, Surface équivalente Topographique.
Peut-être avez-vous aussi constaté que la communication sur la replantation des haies dans les médias et sur les réseaux sociaux est inversement proportionnelle à la longueur des haies plantées. La tâche est gigantesque, et il est bien difficile de mettre en place dans les faits un véritable programme de replantation à la hauteur des enjeux.
Quoi qu’il en soit, ces programmes de replantation ont le mérite d’exister. Mais si l’on décide de planter une haie, encore faut-il ne pas faire n’importe quoi. Planter une haie, cela se prépare.
Dominique Soltner, brillant agronome français, a édité dès 1973 plusieurs manuels sur l’arbre et la haie. Huit éditions, dont la dernière datant de 1999, ont été publiées. On y retrouve une multitude d’informations que chacun devrait lire. Car inutile de réinventer le fil à couper le beurre, tout est dit dans ces excellents ouvrages. Dominique Soltner a étudié toutes les formes de haies, en zone tempérée comme en zone tropicale, et a fait de nombreux essais de plantation. Ses recommandations sont très pratiques et à la portée de tous.
Je me permets donc de résumer quelques-uns de ses propos, en les corrélant avec ma petite expérience dans le domaine et celle de François Schenini, Vice-Président des Croqueurs de pommes de Mouzay, qui a participé, de près ou de loin à la plantation de quelque 400 kms de haies brise-vent, notamment pour les fédérations de chasseurs en champagne crayeuse (zone de culture) et ailleurs.
Quatre exigences
Les premières replantations de haies brise-vent par les agriculteurs après remembrement dans les années soixante se sont souvent soldées par des échecs : des plants installés sans bonne préparation du sol, et laissés sans entretien, envahis d’herbe et de ronces. Il fallait trouver une méthode assurant une reprise de la haie voisine de 100%, un entretien minimum et des prix très bas des plants et de la plantation.
Aujourd’hui, cette technique repose sur 4 principes : l’utilisation de jeunes plants, la préparation très soignée du sol, la couverture systématique du sol par un paillage ou film plastique noir, et la protection des plants contre le gibier.
1. Pourquoi des jeunes plants ?
Plus on plante petit, plus la plantation est facile, la reprise assurée, la pousse vigoureuse la première année, le prix réduit.
Acheter des forts sujets dans le seul but de gagner quelques années est généralement une illusion. Quand on arrache un arbre en fort sujet ou un arbuste déjà développé, on laisse en pépinière plus de 80% de ses racines, contre 20 à 50% pour un jeune plant ou petit baliveau. Un jeune plant dépassera en hauteur, en 2 à 4 ans, des arbres ou arbustes achetés en forts sujets et ayant coûté beaucoup plus cher. C’est l’un des secrets de réussite le plus ignoré du public. Les jeunes plants coûtent entre 0.80 Euros et 2 Euros pièce, suivant les espèces.
2. Une préparation du sol très soignée
La plantation d’une haie, cela se prépare. Il faut une terre ameublie, non motteuse. Pour cela il faut commencer dès l’été, au plus tard en tout début d’automne. Il faut débarrasser la bande de terre à planter des mauvaises herbes vivaces et détruire le gazon. Il n’est pas nécessaire de labourer, on peut utiliser un instrument à dents ou rotatif et travailler le sol en surface. Par contre, il est fortement recommandé de briser les couches tassées en profondeur, ce que l’on appelle les semelles de labour. L’idéal est de descendre à 30-40 cm, et plus si nécessaire. C’est capital, il est préférable de le faire en été. Si le sol reste tassé en profondeur, les racines auront du mal à pénétrer, et la végétation ralentira dès la 2ème ou 3ème année. Ceci est corroboré par de nombreuses observations de Dominique Soltner. François Schenini a pu l’observer également, avec des différences de développement du simple au triple suivant que le sol avait été décompacté ou non. On utilise une sous-soleuse pour détruire ces semelles ou fissurer le sol.
Si l’on peut incorporer un bon compost ou fumier bien décomposé, la haie ne se développera que plus vite. Cela va l’aider pendant les deux premières années.
3. La couverture systématique du sol
Le principe de base est le suivant : pas d’herbe à moins de 50 cm de toute plantation pendant au moins 3 ans. La manière la plus simple d’y parvenir est de couvrir la plantation de 10 à 15 cm de paille, en renouvelant régulièrement ce couvert qui va très rapidement disparaitre. Cette technique, qui a le mérite d’enrichir le sol pose néanmoins le problème du suivi. En effet, mettre la paille avant la plantation est une chose aisée. Cela devient plus compliqué lorsqu’il faut « repailler », et cela à plusieurs reprises pendant au minimum les 3 premières années. Car il faut intervenir généralement en mai ou juin, à un moment où les agriculteurs ne sont que très peu disponibles, occupés par les foins, les ensilages, les semis, l’entretien des cultures, les moissons…. Un des désavantages également de la paille, c’est qu’elle attire les rongeurs (dont le campagnol terrestre) qui sont friands des jeunes plants et que le paillage doit être accompagné d’un désherbage pour éliminer les adventices les plus résistantes (liseron…). On peut utiliser également du BRF mais encore faut-il en trouver, et en quantité suffisante, et prévoir les modalités d’épandage.
Beaucoup plus efficace, et ne demandant aucun entretien, est la technique de plantation sur film plastique noir 80 microns spécial vigne. C’est la technique préconisée par D. Soltner, après des années d’essais et d’observations. Et celle retenue par François Schenini en champagne crayeuse. Le film empêche la pousse des mauvaises herbes et maintient au niveau du sol une atmosphère chaude et humide. Je la pratique également. Elle ne répond toutefois pas au problème des campagnols.
J’entends tout de suite de nombreux « écologistes » me dirent que c’est une hérésie. Du plastique sur les sols ? Ecologistes convaincus, nous pensons qu’il s’agit d’un mal nécessaire. Le degré d’urgence face à l’effondrement de notre biodiversité nous ont fait opter pour cette technique car elle assure un taux de reprise proche de 100% et un développement 3 fois plus rapide de la haie. Cette technique est abondamment illustrée dans les manuels de D. Soltner. Le film reste en terre, il ne se dégrade pas, et ne laisse pas de résidus toxiques car il ne contient pas de chlore. Rien n’empêche de l’enlever par lambeaux au bout de 3 à 4 ans, s’il est encore accessible. Ce film existe en diverses largeurs. Pour ma part, j’utilise des rouleaux de 2 mètres de large pour une plantation en double rangs. Le prix est de 0.8 Euros au mètre linéaire. On trouve aussi des collerettes de 30×30 ou 50×50 qu’on glisse dans la fente là où on a installé le plant, pour refermer l’incision pratiquée dans la bâche. Cela évite la repousse au pied du jeune plant. On complète par une pelle de sable au pied de chaque plant, pour bien fermer la collerette et éviter toute pénétration de la lumière qui favoriserait la germination des graines d’adventices. Si on ferme avec de la terre, on apporte des graines qui vont germer, et donc concurrencer le jeune plant en eau.
Il existe d’autres systèmes de couverture, tels que la bâche biodégradable, les rouleaux de jute ou de chanvre, mais ils se décomposent rapidement (max deux ans) et sont beaucoup plus chers.
J’ai pu constater le faible taux de reprise et de survie des plants sur des haies installées sans paillage ni plastique. Le CPIE de Montmédy dans le Nord Meusien note un taux de reprise de seulement 51% sur les haies plantées en 2019 et 2020, sans préparation et sans couverture. J’ai planté 300 mètres de haie sous paille il y a 7 ans et je peux confirmer ce faible taux de survie. Et elle a beaucoup de mal à se développer en hauteur et à occuper l’espace. Comme la plupart des agriculteurs, je n’ai pas procédé à des paillages réguliers et les adventices ont pris le dessus. En revanche, sur une haie plantée sous bâche tissée lors de l’hiver 2018-2019, avec une belle préparation du sol et apport de fumier décomposé avant plantation, près de 100% des plants ont repris. Et le développement de la haie est impressionnant.
Malheureusement, les programmes de plantation sont confrontés à la position dogmatique de nos dirigeants qui ne veulent pas que l’on fasse la promotion du plastique. La Région Wallonne l’interdit pour obtenir l’aide à la plantation (5 € au mètre linéaire en mono ligne, 7€ en double). Si nous voulons être cohérents, alors interdisons le film plastique sous toutes ses formes. Dans l’alimentation, là où il existe des alternatives au plastique, nos dirigeants ont bien du mal à prendre ces décisions sous la pression des lobbys. On force même les producteurs bio à emballer sous plastique les fruits et légumes pour les vendre en grande surface. Et on ne parvient pas à bannir le Roundup. Il me semble qu’on ne prend pas le problème par le bon bout. Ou alors, prévoyons des aides et des équipes pour assurer le renouvellement du paillage, pour installer des rouleaux de chanvre ou de jute… Restons pragmatiques car nous avons tout avantage à atteindre un taux de reprise proche de 100% pour ne pas gaspiller ces plants et recréer au plus vite de la biodiversité.
Dernière remarque, il est conseillé de planter en début d’hiver (novembre – décembre) car les radicelles se développeront déjà durant la période hivernale. Les jeunes plants seront ainsi plus résistants en cas de sécheresse estivale.
4. La protection des jeunes plantations
Les jeunes plants doivent être protégés contre la faune sauvage. Les forestiers connaissent très bien le sujet. Une clôture double en barbelés constitue une protection efficace contre le cerf, mais pas contre le chevreuil ni le lièvre. Il suffit de quelques spécimens pour ravager une bonne partie de votre plantation. La pose de protection gibiers (manchons) est nécessaire pour garantir un résultat. Mais ici aussi, on est confronté au plastique. Différentes protections sont disponibles, certaines s’enroulent facilement autour des jeunes arbres, d’autres nécessitent d’ajouter des tuteurs pour écarter les manchons (arbustes). Toutes ces protections vont bien sûr augmenter le coût de plantation.
Observer l’environnement pour choisir les espèces à planter
La haie doit être composée de plants adaptés à leur environnement. Pour choisir vos espèces, observez ce qui pousse dans les haies naturelles, les friches et forêts à proximité de votre future plantation. Evitez les espèces ornementales présentées dans les catalogues des pépiniéristes, sans caractère régional. Pas de thuya ni de cyprès, s’il vous plait. Eliminez les espèces invasives telle que le Buddleia ou arbre à papillons, qui n’est pas une espèce naturelle. Une bonne haie brise-vent doit être semi-perméable et doit associer des arbres de grande taille à des arbres de moyenne taille et des arbustes. Dans nos sols argilo calcaires, nous plantons de l’érable champêtre, du charme, du hêtre, de l’alisier torminal, du tilleul, du merisier, du poirier et pommier franc (que je greffe parfois plus tard) du sureau noir, du noisetier, du prunellier, de l’aubépine, du fusain d’Europe, du saule marsault (attention au saule marsault qui peut devenir prédominant car d’une croissance un peu exubérante), , de la viorne lantane et obier, de la bourdaine, du nerprun purgatif, du camerisier à balais… Je plante en deux rangs, avec des écarts dans la ligne entre 1.20 et 2.00 m. L’effet brise vent d’une telle haie atteint 15 à 20 fois sa hauteur. Elle protège ainsi efficacement cultures et vergers des gelées tardives et des forts coups de vent.
Il faut définir le type de haie que l’on souhaite et de sa localisation : brise-vent, ou production d’humus, haie en bordure de chemin (pas trop épaisse, qui ne monte pas trop haut…). Le pourcentage des arbres de hauts jets, de moyens jets et d’arbustes sera fait en fonction des objectifs recherchés.
La problématique de disponibilité des plants
Ces vastes programmes de replantation sont confrontés à un manque de jeunes plants sur le marché. Les pépiniéristes multiplicateurs/éleveurs ont des difficultés pour répondre à la demande, car ils sont déjà fortement absorbés par la production de plants pour les forêts, particulièrement éprouvées ces deux dernières années par la sécheresse. Des milliers d’ha d’épicéas détruits par le scolyte ont fait l’objet de coupes à blanc dans le Grand Est, qu’il faut replanter au plus vite. Il y a pénurie de plants, et pour l’instant, il faut faire appel à des producteurs de l’Est de l’Europe. Il faut à tout prix ne pas gaspiller ces précieux plants, en leur assurant un taux de reprise de 100%
Thierry Heins/François Schenini