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Le modèle agricole industriel mondial condamné à brève échéance par l’épuisement du pétrole ? - Mise au point
Notre système agricole occidental, qu’il soit conventionnel ou bio, est responsable d’une part importante de notre empreinte écologique. Ce système est condamné à moyen terme par sa dépendance au pétrole.
L’objectif de ce mémo n’est pas de condamner les agriculteurs, qui sont très peu responsables de cet état de fait. Mais il est légitime de se poser dès à présent la question de l’après pétrole. Et il me semble qu’elle n’est pas suffisamment débattue, et que bon nombre d’exploitants ne semblent pas y croire, pas plus que la société civile d’ailleurs.
Je n’ai pas de position dogmatique sur le sujet, mais j’essaye de m’attacher à des faits, qui tous démontrent que quelque chose ne tourne pas rond et que ce système ne pourra perdurer. Je suis ouvert à toute discussion sur le sujet, j’essaye juste de comprendre et d’entrevoir l’avenir.
A l’heure actuelle, nous produisons 100 millions de barils de pétrole par jour. Les énergies renouvelables, qui auraient dû se substituer en partie aux énergies fossiles, ne font que s’ajouter aux énergies fossiles, dont l’extraction ne diminue pas. Inexorablement, les réserves en pétrole s’amenuisent. La production mondiale va chuter, pour atteindre d’après des sources officielles les 18 à 20 millions de barils par jour d’ici quarante ans. Or notre production agricole occidentale dépend essentiellement du pétrole, pour le machinisme, les engrais, les pesticides, les modes de transformation, le transport…
A la sortie de la seconde guerre mondiale, il a été demandé aux agriculteurs de nos pays occidentaux d’augmenter la production. Et le monde agricole a parfaitement réussi la performance, aidé et encadré par l’agroindustrie. Les chevaux ont été remplacés par des tracteurs, et les productions se sont spécialisées. La taille des exploitations n’a fait que grandir, aussi bien dans les productions végétales qu’animales, et cela grâce au pétrole. Certes, d’un point de vue de la productivité par travailleur, l’agriculture industrielle est la meilleure. Grâce aux moteurs thermiques, un seul agriculteur peut gérer des surfaces allant jusqu’à plusieurs centaines d’hectares. Par contre, si on considère le rendement par calorie investie, le modèle agricole industriel est une aberration. Au sein d’une ferme mécanisée, deux calories investies sont nécessaires pour en produire une. Cette inefficacité est due principalement aux cultures destinées à l’alimentation animale. Si l’on ajoute les calories nécessaires pour transporter, stocker, transformer, réfrigérer, emballer, distribuer, ce sont dix à douze calories qui sont investies pour une calorie qui arrive dans nos assiettes. Aucune civilisation ne peut perdurer de cette manière. Ce système s’est développé en déstockant en quelques décennies les ressources en pétrole que la nature a mis des centaines de millions d’années à constituer. En accumulant du même coup le CO2 dans l’atmosphère et provoquant les modifications climatiques que l’on connait.
Vous n’y croyez pas ? De nouveau, je n’essaye de prendre le parti de l’un ou de l’autre, mais j’observe, j’analyse et je pose des questions. Même sans prendre en compte les impacts environnementaux et climatiques de telles pratiques, ce système est condamné. Tout simplement par épuisement et renchérissement de cette ressource addictive. C’est simple à comprendre : le pétrole est une ressource non renouvelable, càd qu’elle est limitée. Quelle que soit l’échéance sur laquelle on peut discuter, les ressources en pétrole s’épuisent.
Les banques soutiennent toujours massivement la prospection de nouveaux gisements. Ce sont 670 milliards de dollars qui sont investis chaque année dans cette recherche. On trouve régulièrement de nouveaux gisements, mais leur extraction est de plus en plus couteuse et très polluante (pétrole bitumeux au Canada par exemple). Ainsi en 1930, pour un baril investi, on pouvait extraire 100 barils de pétrole. Pour les nouveaux gisements, on est à un ratio de 1 pour 11 barils extraits. Allons-nous seulement arrêter cette folie lorsque nous aurons atteint le ratio de 1 pour 1,1 baril ?? Et je ne parle pas de l’effet d’accélération du réchauffement climatique si on exploite ces gisements compliqués à extraire. Nul doute que l’objectif max de 2°C d’élévation de la température moyenne de la planète pour la fin du siècle ne pourra être respecté dans ces conditions. Nous subissons déjà des sécheresses estivales récurrentes, qui provoquent le stress hydrique des cultures et impactent les rendements.
Je pose souvent la question suivante aux agriculteurs de grandes exploitations gérées en conventionnel : Comment allez-vous faire dans 40 ans ? Comment vous y préparez-vous ? Nous ne pouvons attendre 40 ans pour opérer les changements. 2060, c’est demain. Et il est inquiétant de constater que ce sujet n’est jamais abordé, ni par les agriculteurs, ni par les instances agricoles, ni dans les lycées agricoles, et les aides de la PAC ne vont pas dans le bon sens. Il ne fait pas bon de poser la question. Vous serez taxés de défaitiste, de complotiste (très à la mode), d’agribashing … Certains croient que la technologie va nous sauver. Plus de technologie signifie plus de ressources. Nous ne voulons pas voir la réalité en face. Même dans une exploitation bio de grande taille, qui n’a pas recours à des engrais chimiques et à des pesticides, la consommation de gasoil est très importante. Une exploitation bio de 300 ha en polyculture élevage consomme près de 30.000 litres de gasoil par an, rien que pour le parc mécanisé. C’est considérable.
Ce modèle endette dangereusement les agriculteurs, continue de vider les campagnes de leurs paysans, pousse à un gigantisme empêchant les jeunes de reprendre les fermes des retraités, sans compter les impacts environnementaux. Si j’étais jeune agriculteur, je me poserais sincèrement la question avant de reprendre de telles fermes. Car c’est cette jeune génération qui risque d’en payer le prix fort.
Une enquête démontre que plus ou moins 45% des agriculteurs aimeraient changer de modèle. Mais l’endettement constitue une véritable barrière, ils sont tenus par les banques. C’est peut-être vers cela qu’il faudrait orienter les aides de la PAC.
En cas de pénurie soudaine de pétrole, liée par exemple au contexte géopolitique mondial, nos pays ne disposent que de quelques jours de réserves alimentaires et pourraient rapidement sombrer dans la disette. Notre addiction au pétrole pour notre production alimentaire nous rend très vulnérables. L’agriculture industrielle et mondiale est un colosse aux pieds d’argile.
Je ne comprends pas pourquoi le prix du baril n’explose pas. Les économistes nous expliquent que l’extraction massive et récente des gaz de schistes aux Etats-Unis a augmenté l’offre. Mais encore, vous, comprenez-vous ? On extrait 100 millions de barils par jour. Je pense que par un jeu de géopolitique, les gouvernements du monde font pression sur les producteurs de pétrole pour maintenir le prix du baril aussi bas que possible afin de ne pas entraver la croissance économique (ah, cette satanée croissance « infinie » dans un monde » fini « ) et la relance. Il est intéressant de suivre Jean-Marc Jancovici qui explique très clairement que la croissance économique n’est rien d’autre que la courbe de consommation du pétrole, sans plus.
Le prix du baril serait le résultat de l’offre et de la demande, mais pourtant il ne reflète pas son coût de production, qui ne fait qu’augmenter. Il y a des mécanismes qui m’échappent. Personnellement, je pense qu’aucune transition sérieuse ne sera possible tant que le prix ne s’affichera pas autour des 150 dollars. Un prix maintenu artificiellement bas est un frein à tout changement, au développement des énergies alternatives et à la recherche de nouvelles pistes énergétiques.
Il va falloir inventer des solutions. Et nous n’avons pas 40 ans de repos. Que mangerons nous en 2060 ? D’où viendrons nos denrées alimentaires ? Qui va exploiter ces fermes (il y a peu de repreneurs en agriculture, et la moyenne d’âge des agriculteurs est élevée) ? La fusion nucléaire ce n’est pas pour demain. Et nous n’avons pas encore solutionné le problème de la gestion des déchets résultant de la fission nucléaire. Le Grand Est est très bien placé pour le savoir avec son centre d’enfouissement des déchets à Bure. Nous allons en tout cas devoir relocaliser notre agriculture, revenir à plus de diversification, et probablement chaque ferme devra être capable de produire sa propre énergie, tout comme dans le passé une partie des surfaces agricoles de la ferme était réservée à nourrir les chevaux de traits. Il ne s’agit pas de revenir à la lampe à huile comme le disent en dérision certains probablement mal informés des problèmes, mais de s’informer lucidement sur les faits, les possibilités, les modifications de manière de produire et de consommer qui doivent être opérées. La seule manière de résoudre un problème est de le comprendre, pas de l’ignorer.
Dans le cadre du plan de relance européen des 750 milliards d’euros, le Parlement et le Conseil européen ont débloqué une aide de 8 milliards d’euros en faveur de l’agriculture et des zones rurales. La France a décidé de financer l’agriculture et l’alimentation à hauteur de 1,2 Md€. Pour garantir le bon usage de ces aides, l’accord européen prévoit qu’au moins 55% de ces 8 Md€ devront soutenir des mesures de coopération, l’installation de jeunes agriculteurs et les petites entreprises agricoles et rurales. Par ailleurs 37% des fonds devront servir à la protection de l’environnement par l’intermédiaire des mesures agro-environnementales. Soit près de 3 Md€. «Il faut financer l’agriculture biologique, l’adaptation au changement climatique, la réduction des émissions agricoles de gaz à effet de serre, la conservation des sols, le renforcement du stockage de carbone, l’amélioration de la gestion de l’eau, la réduction des risques liés à l’utilisation de pesticides et d’antibiotiques et l’amélioration du bien-être animal», énumère le rapporteur italien Paolo de Castro. Pourtant, je doute que ces mesures et règles soient réellement appliquées et respectées. Afin de permettre aux agriculteurs d’introduire leur dossier, un site a été ouvert pour gérer les demandes. Il a été fermé après 36 heures, l’enveloppe ayant déjà été dépassée. Et la plupart des dossiers concernent le renouvellement de matériel, sur lesquels les agriculteurs peuvent obtenir 40% d’aide. Ce sont en effet des dossiers simples à gérer pour les instances agricoles : un devis et une facture pour un pulvérisateur « plus efficace », un nouveau tonneau à lisier de plus grande capacité,… sont beaucoup plus faciles à introduire et leur gestion moins complexe à traiter. Pas sûr que ce soit l’objectif recherché.
Et si l’on cherchait des solutions ensemble : producteurs, transformateurs, consommateurs ? Une Convention citoyenne pour l’agriculture résiliente ? On peut toujours rêver, non ?
Thierry Heins