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Identifier et sauvegarder les variétés fruitières locales grâce à l’analyse génétique

La reconnaissance des variétés fruitières locales est un enjeu essentiel pour préserver notre patrimoine végétal. Grâce à l’analyse génétique, il est désormais possible de lever les doutes sur l’identité de nombreuses variétés en apparence similaires. Le code MUNQ, basé sur des marqueurs microsatellites (SSR) et (SNP), permet d’attribuer à chaque génotype un identifiant unique, facilitant ainsi la gestion des collections fruitières, la détection de doublons, et la clarification des synonymes et homonymes.

Les analyses génétiques des variétés fruitières utilisées pour produire les codes MUNQ (Microsatellite Unique Number per genotype) consistent à caractériser l’identité génétique de chaque variété grâce à des marqueurs microsatellites (aussi appelés SSR : Simple Sequence Repeats).

Le but est de déterminer un identifiant unique (code MUNQ) pour chaque génotype fruitier à partir de son profil génétique, permettant de :

  • Distinguer des variétés proches ou synonymes.

  • Identifier les doublons.

  • Traiter les cas d’homonymie (même nom pour des variétés différentes).

  • Constituer une référence standardisée pour les bases de données génétiques.

Étapes de l’analyse

    1.  
  1. Échantillonnage :
    On prélève des tissus (souvent des feuilles) sur la plante fruitière à analyser.

  2. Extraction de l’ADN :
    L’ADN génomique est isolé à partir de l’échantillon.

  3. Amplification de portions de l’ADN :
    Des régions spécifiques de l’ADN sont amplifiées afin de mesurer la longueur des allèles à chaque locus microsatellite.

  4. Profil génétique :
    Pour chaque variété, on obtient un profil multi-locus basé sur plusieurs marqueurs microsatellites standards (en général 16 ou 24).

  5. Attribution du code MUNQ :
    Chaque profil unique est associé à un code numérique MUNQ.

    • Le même profil donne le même MUNQ.

    • Si deux variétés ont un MUNQ identique, elles sont génétiquement identiques (ou très proches).

    • Si un profil est nouveau, un nouveau code MUNQ est attribué.

    1.  

Pour des pommes, des poires ou des pruniers, plusieurs collections nationales ont été génotypées. Une variété appelée localement « Reinette de quelque chose » pourrait se révéler génétiquement identique à une autre nommée différemment ailleurs – le MUNQ permet de détecter cette équivalence.

Dans le bulletin des Croqueurs N°166 de 2019, il est dit que le même code MUNQ ne signifie pas que les variétés concernées sont absolument identiques, mais simplement qu’au vu des zones du génome analysées (les 16 marqueurs), il est statistiquement prouvé qu’elles ont pour origine un même arbre qui a été obtenu par le semis d’un pépin il y a parfois très longtemps. Ces variétés peuvent présenter de légères différences de couleur, de dates de floraison ou de maturité. Cela peut provenir de différentes causes : soit il y a eu une petite mutation du génome non repérée sur les marqueurs analysés, soit il s’agit d’une expression un peu différente des gènes due à des molécules adjointes au génome qui modifie sa régulation, les marqueurs épigénétiques.

En 2016, l’INRAE a fait évoluer sa méthode d’analyse, en mettant en œuvre une autre technique, celle des marqueurs SNP. Le nombre de sites identifiés sur le génome de chaque variété est passé de 16 marqueurs SSR à plus de 250 000 SNP (Single Nucleotide Polymorphism), ce qui fait faire un bond considérable dans la fiabilité des résultats de ces analyses. Néanmoins, cette technique plus coûteuse n’est appliquée qu’à un sous-ensemble de variétés (source les Croqueurs de pommes, même bulletin de 2019).Une généticienne retraitée de l’INRAE pense que d’ici peu les SSR vont disparaître (trop lourds techniquement et limités) pour les SNP obtenus actuellement par des puces de génotypage et très prochainement par le séquençage complet de l’échantillon. A voir si la méthode est aujourd’hui appliquée plus généralement, mais je n’ai pas d’informations à ce sujet. (voir en fin d’article des explications sur les deux méthodes de séquençage). 

 

Depuis que le programme d’analyse de l’ADN des pommes et poires a vu le jour – programme Corepom, 15.579 échantillons de pommes ont été analysés par l’INRAE, et 4.708 de poires.

En consultant le fichier brut de toutes les analyses réalisées, vous trouvez pour un même code génétique MUNQ parfois une longue liste de noms (Accename) qui ont été attribués aux échantillons envoyés par les différents demandeurs (associations locales, centres de ressources génétiques, centres agronomiques…). Ces analyses montrent qu’il peut y avoir de nombreuses confusions entre les variétés et des erreurs notoires dans nos déterminations. La question est donc de savoir quel nom il faut retenir, ou quel ensemble de noms retenir.

Exemple de nos analyses 2024

En juin 2024, l’association locale des Croqueurs de pommes du Nord Meusien a envoyé des échantillons de feuilles de 3 variétés de pommiers à l’INRAE dans le cadre de ce programme Corepom, avec les noms suivants :

Echantillon 1 : La Rayée d’automne ou Rambour d’automne ou Rambon

Echantillon 2 : La Papette

Echantillon 3 : La Reinette dorée

Notre Rayée d’automne – MUNQ 771 – Belle Fleur Large Mouche Lanscailler

Ceux qui ont suivi la formation de pomologie organisée par le national ont pu se rendre compte de la difficulté à pouvoir mettre avec certitude un nom sur un fruit, tant les critères descriptifs sont nombreux, certains étant mesurables, d’autres soumis à l’appréciation. Cela demande une observation minutieuse du fruit, mais pas que. Il faut aussi compléter notre observation par des informations sur la date de floraison (groupe de floraison), le port naturel de l’arbre, sa vigueur, la forme, taille, teinte des feuilles, la date de récolte (à relativiser par les conditions pédoclimatiques du verger), la durée de conservation naturelle du fruit, son expression aromatique, son acidité, sa sucrosité…

L’analyse génétique permet aujourd’hui de lever les doutes, mais encore faut-il décider du nom ou disons plutôt de la primauté du nom. On peut s’engager dans un débat sans fin, et donc on accepte souvent une liste de noms, tout en sachant qu’il s’agit d’une même variété. Mais il faut néanmoins éliminer toutes les erreurs grossières. Je vous donne ainsi un exemple assez parlant, et qui concerne cette fameuse « Rayée d’Automne », « Rambour d’Automne », ou « Rambon », que nous retrouvons souvent dans nos vergers, sur des arbres anciens, vigoureux, imposants.  Une pomme vert-jaune, rayée de rouge, de calibre moyen à gros, qu’on récolte en septembre (parmi les premières) et qui se conservent moyennement (elles se dégradent rapidement au sol si non ramassées), parfois un peu plus longtemps si stockée en chambre froide.

L’analyse génétique révèle le code MUNQ 771.

Cette pomme a été analysée 57 fois par l’INRAE. Le nombre d’ACCENAME est important, et certains noms sont à mon humble avis tout à fait farfelus (par exemple Rambour d’hiver). La Rambour d’hiver est en effet assez facile à déterminer et n’a rien à voir avec la pomme en question. Etant donné que ces analyses sont coûteuses et chronophages, il est primordial de mener une étude préalable sur une variété (pomologie) avant de décider d’une analyse génétique.

Notre échantillon provient du verger situé le long de la départementale entre Thonnelle et Thonne le Til, sur votre droite. J’ai l’habitude d’y ramasser les fruits, et le verger contient une trentaine d’arbres pratiquement centenaires de cette variété.

Quel nom retenir ? J’aurais tendance à me tourner vers les ACCENAME des centres de recherche ou de ressources génétiques, qui diffusent ces variétés via des vergers conservatoires réellement suivis. Dans le cas du MUNQ 771, je pencherais donc pour la « Belle Fleur Large Mouche » ou « Lanscailler ». Si vous allez sur le site www.biodimestica.eu, sa description correspond très bien au fruit que nous connaissons. « Plus de 10 synonymes: Belle-Fleur Large Mouche, Large Mouche (dans le pays de Liège), Dubbele Belle-fleur, Ossekop, Tête de Bœuf (dans le Limbourg), Rabaëlle (dans le Namurois), Balleau (dans la région de Jodoigne, Lanscailler (Lanscahire) dans le nord de la France, Verdia, Balleau, Reiniche Rambour . Sa qualité première est sa rusticité, c’est sans doute pour cette saison qu’on l’a retrouvée très fréquemment dans la région.

Voici le lien de la fiche : https://www.biodimestica.eu/fr/patrimoine-fruitier/varietes/belle-fleur-large-mouche-lanscailler

La Papette – MUNQ 11572 – Une nouvelle variété !

L’histoire de cette variété défendue comme très bonne par l’un de nos membres Jean-Pierre Da Silva, et trouvée au bord d’un parking à camions de la Papeterie de Stenay confirme bien qu’il s’agit d’une variété nouvelle, issue d’une fécondation du hasard qui a donné un arbre et un fruit intéressant. Nous étions dès le départ convaincu qu’elle était une variété nouvelle vu l’arbre originel et son emplacement particulier. Elle ne pouvait pas entrer dans les pommes décrites, et c’est pour cette raison que nous avons procédé aux analyses. Et en effet, parmi les 15579 échantillons de pommes analysés, cette variété se retrouve pour la première fois dans le fichier. Elle n’a donc pas d’équivalent. Et il est fort probable qu’elle n’en trouvera pas (sauf surprise comme notre Mélie de Montigny devant Sassey qui existe dans la Brie sous le nom Barrée à Grappes).

Il faut donc à présent nous atteler à décrire ce fruit, et à enregistrer un maximum d’informations sur sa maturité, sa conservation, son groupe de floraison, ses usages…. L’arbre d’origine a disparu, et nous avons quelques jeunes arbres à Mouzay et Charency Vezin. Nous avons également greffé quelques sujets sur franc le 10 mars. Qui se propose de prendre ce dossier en main ?

La Reinette dorée – MUNQ 612 = Reinette de Chênée ?

L’échantillon soumis provient du verger de François Schenini à Mouzay.

On retrouve plusieurs ACCENAME pour cette variété, dont la Reinette d’Orléans, la Reinette de Chênée, la Reinette Mariette, qui reviennent plusieurs fois. Probablement des synonymes pour une même variété. Il faudrait vérifier plus finement l’arbre et ses fruits, et comparer nos observations à ce qu’en dit biodimestica.eu pour la Reinette de Chênée (https://www.biodimestica.eu/fr/patrimoine-fruitier/varietes/reinette-de-ch%C3%AAn%C3%A9e) , mais aussi retrouver des informations sur la Reinette d’Orléans. On peut rejeter certains noms tels que la Reinette de France, qui est bien différente.

On retrouve aussi des noms comme la Reinette dorée de Blenheim, ou Blenheim orange, mais ces variétés ont un autre code MUNQ, le 376, tout comme la Bénédictin que j’ai eu l’occasion d’observer dans le calvados.

En conclusion

Tout ce qui précède présente l’immense intérêt de préciser notre savoir sur nos fruits fétiches du Nord Meusien. Ainsi sommes-nous capables, lors d’une bourse aux greffons, de renseigner avec plus de certitude qu’aujourd’hui les caractéristiques, les qualités, et les défauts pourquoi pas, de ces fruits qui font partie de notre environnement proche.

Bien sûr, il est plus commode de regrouper sous un même nom les mêmes fruits qui ne s’appellent pas du même nom, qu’ils viennent du coin ou de deux cents kilomètres à la ronde. Les chauvins voudront sans doute garder le nom local, ce qui se comprend, mais il est nécessaire, dans la fiche que nous allons enrichir au fils des années et des apports nouveaux éventuels, de bien lister les synonymes que nous fournit l’analyse génétique.

Enfin, et cela a déjà été avancé, nous ne devons pas nous mettre dans la peau de collectionneurs de fruits, surtout si nous ne sommes pas capables de les décrire dans nos vergers, dans un premier temps il y a suffisamment d’énergie à consacrer à nos fruits les plus répandus chez nous avant de nous disperser sur des pommes ou poires d’autres régions et qu’on ne recense ici qu’à quels exemplaires introduits on ne sait pas très bien comment.

Nous devons être particulièrement conscients, que si nous devons nous investir dans les analyses génétiques, c’est avant tout pour répondre aux objectifs de notre association sur les variétés locales méritantes que nous avons le devoir de sauvegarder. Avant d’envoyer des échantillons à l’analyse, réfléchissons aux raisons qui nous pousseraient à financer ces analyses. Les arbres, s’ils ne peuvent être reconnus comme des variétés locales avérées, présentent quelles caractéristiques remarquables pour qu’on les inscrive sur le programme des analyses ? Il est donc essentiel de collecter au préalable un maximum d’informations sur les variétés en question et d’utiliser les outils de la pomologie pour tenter de les identifier. Si aucune réponse ne peut être donnée après une recherche quelque peu approfondie, alors une analyse génétique devient un outil précieux. Il nous semblerait incongru d’analyser tout ce qui se présente, les analyses doivent être réservées aux variétés que l’on a envie de reproduire pour en assurer la sauvegarde.

Thierry Heins et François Schenini

Méthode d’analyse génétique SSR et SSP

L’ADN (acide désoxyribonucléique) est composé de quatre bases azotées, comme les lettres d’un alphabet :

  1. A = Adénine

  2. T = Thymine

  3. C = Cytosine

  4. G = Guanine

Dans la double hélice de l’ADN, ces bases vont par paires, comme des aimants :

  • A s’associe toujours avec T

  • C s’associe toujours avec G

Les bases A, T, C et G jouent un rôle essentiel : elles portent l’information génétique, comme des lettres qui forment des mots dans un livre.

  • Les bases sont rangées dans un ordre précis sur l’ADN, comme ceci :
    ATGCTTACG...

  • Cet ordre forme un code qui contient les instructions pour fabriquer les protéines constituant toutes les parties du corps humain (muscles, enzymes, hormones…) mais aussi de tous les autres organismes vivants (plantes, champignons, bactéries, virus, mammifères, invertébrés…).

Analyse de nos variétés :

Pour savoir si deux variétés sont génétiquement différentes, on regarde leur ADN (comme un livre d’instructions) et on compare certains petits morceaux. Il y a plusieurs manières de le faire, dont la méthode SSR (microsatellites) et la méthode SSP (amorces spécifiques).

1. SSR = Microsatellites

  • Dans l’ADN, il y a parfois des mots très courts répétés plusieurs fois, comme :
    ...CACACACACACACACACACACACACACACACACACA...

  • Ces « mots répétés » s’appellent microsatellites ou SSR.

  • Certaines plantes ont ce mot répété 10 fois, d’autres 15 fois.

  • En laboratoire, on peut mesurer combien de fois le mot est répété → ça donne une sorte d’empreinte génétique.

  • Chaque plante a une taille différente pour ce morceau → c’est ça qu’on compare.

La méthode SSR permet de voir les différences générales entre les plantes (ou personnes, ou animaux).

2. SNP = Single Nucleotide Polymorphism, ou polymorphisme mononucléotidique en français

  • C’est une technique qui permet d’étudier les variations génétiques à un niveau très précis : celui d’une seule base (A, T, C ou G) dans la séquence d’ADN.

  • Un SNP est une variation d’un seul nucléotide dans l’ADN d’une espèce. Par exemple, à un emplacement donné du génome, une partie de la population peut avoir une cytosine (C) tandis qu’une autre peut avoir une thymine (T). Ces petites variations sont très fréquentes (environ 1 tous les 1 000 nucléotides chez l’humain).

La méthode SNP offre une grande précision de résultats.