Quand on plante une haie vive, on pense d’abord à la biodiversité, aux oiseaux, aux insectes… Mais pourquoi ne pas y glisser aussi quelques trésors comestibles ? Pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers : ces arbres fruitiers peuvent s’intégrer harmonieusement parmi les arbustes et les arbres de haut jet. Et en plus d’offrir gîte et couvert à la faune, ils nous régaleront pendant des décennies.
Ces fruitiers peuvent tout à fait trouver leur place dans les plans de plantation de haies, à condition de respecter certaines règles. Par exemple, il est essentiel de bien espacer les arbres (environ 10 m) pour leur permettre de capter la lumière. Et attention si vous taillez régulièrement la haie : les fruitiers ne doivent pas subir le même sort.
Le top ? Des arbres greffés sur porte-greffe franc, de vieilles variétés rustiques, bien adaptées au sol et au climat local. Ces arbres-là ont du caractère : ils s’enracinent profondément, résistent à la sécheresse et peuvent vivre un siècle !
On peut greffer dès la plantation, selon la technique anglaise, ou patienter quelques années (3 à 4) pour effectuer une greffe en fente ou en couronne. Dans la nature, il arrive aussi que des fruitiers poussent spontanément : merisiers, pommiers ou poiriers sauvages issus de pépins égarés par les animaux. Ces arbres donnent des fruits petits et peu savoureux… mais ils sont parfaits pour être greffés avec des variétés anciennes bien goûteuses.
Avec notre association, Les Croqueurs de Pommes de la Meuse, on adore partir à la recherche de ces arbres sauvages pour leur donner une seconde vie. Une greffe bien faite, et quelques années plus tard, les promeneurs peuvent se régaler au détour d’un chemin.
Cette semaine, direction les ballastières de Mouzay, dans le Val de Meuse, une ancienne gravière reconvertie en havre de biodiversité. Là, entre les chants d’oiseaux et le va-et-vient des castors sur cet étang de plus ou moins 9 ha, une belle haie replantée il y a quelques années borde la D964. Cornouillers, érables champêtres, cormiers… et quelques pommiers sauvages (Malus domestica – franc de pied) y ont été plantés.
C’est là que nous avons mené ce 16 avril une opération greffe en fente ou en couronne de variétés anciennes tardives qui n’ont pas encore débourré et dont nous exposons les principes avec quelques photos, afin de redonner un avenir fruitier à ces francs de pied.
Cette technique consiste à fendre le tronc du porte-greffe et y insérer un greffon taillé en pointe. Le geste est minutieux : il faut bien faire coïncider les couches génératrices, ligaturer, mastiquer, et surtout ne pas couvrir les yeux du greffon. C’est presque un travail de chirurgien… mais quel plaisir quand la greffe prend !
La technique en détail :
Greffer, c’est mettre en contact les zones génératrices du porte-greffe et du greffon. Pour cette technique, on accède à la zone génératrice en fendant la tige du porte-greffe.
On commence par étêter le porte-greffe à la hauteur à laquelle on veut greffer. On élimine les brindilles ou petites branches sur toute la hauteur du tronc. On rafraîchit la coupe au greffoir (ou canif). On fend le porte-greffe au couteau en maîtrisant son geste pour ne pas ouvrir la fente plus qu’il n’en faut.
On prépare le greffon que l’on a prélevé sur une variété qui n’a pas encore débourré. Ici, nous avons opté pour la Melie (ou Barrée à grappes), la Cabarette (ou Président Van Dievoet) et la Marie-Jeanne de Bréhéville, une variété ancienne et endémique de notre région. Toutes les trois sont tardives et débourrent tardivement, particulièrement la Melie et la Marie Jeanne qui ne fleurissent pas avant fin mai. C’est une règle essentielle pour assurer la reprise, les greffons doivent présenter un retard de végétation par rapport au porte-greffe. Le greffon est une pousse de l’année dernière, située sur un rameau incliné à 30-45°. Ne pas les prélever sur un gourmand vertical.
On taille le greffon en pointe allongée (2 à 3 cm) en dessous d’un œil. On taille ensuite cette pointe en biseau, côté extérieur plus large que le côté intérieur. Il faut s’entrainer sur des rameaux sauvages, il faut trouver le bon geste. On peut affiner la coupe du greffon en pratiquant un épaulement, ce qui réduira l’espace entre la fente du porte-greffe et le greffon en assurant un meilleur contact entre les parties génératrices.
On insère ensuite le greffon dans la fente du porte-greffe en maintenant la fente ouverte avec un tournevis ou ciseau à bois. On place le greffon bien entendu sur la partie extérieure de la fente en veillant à faire coïncider les parties génératrices. On retire le tournevis. On peut insérer deux greffons, un de chaque côté de la fente, si le diamètre du porte-greffe est supérieur à 2 cm.
On ligature ensuite solidement (élastobande, ….). On rabat le greffon à trois yeux au sécateur. On enduit la coupe et la fente du porte-greffe avec du mastic de type Marbella ou Pelton, sans oublier l’extrémité du porte-greffe. Ne pas recouvrir les trois yeux. Et voilà !
Quand le porte-greffe est trop épais pour une greffe en fente, on soulève simplement l’écorce et on glisse le greffon dessous. On en met plusieurs tout autour du tronc pour maximiser les chances de reprise. Même rituel : ligature, masticage, et patience…
Plus en détail :
Il s’agit également, comme pour toute greffe, de mettre en contact les couches génératrices du greffon et du porte-greffe. La fixation de la ligature est identique. En revanche, l’accès à la couche génératrice s’obtient, non par la fente du porte-greffe, mais par soulèvement de son écorce. Elle est pratiquée lorsque le porte-greffe est trop gros pour une greffe en fente. Elle est aussi habituellement utilisée pour le sur-greffage. Le nombre de greffons sera proportionnel au diamètre de la coupe pour accélérer le recouvrement de la plaie et éviter le pourrissement ultérieur du cœur de l’arbre.
Après avoir étêté l’arbre et rafraîchi la coupe, on incise le cambium verticalement sur une hauteur de 3 cm, avec le greffoir. On soulève l’écorce ensuite d’un côté seulement sur quelques millimètres.
On insère le greffon biseauté qui achèvera de soulever l’écorce. Ligaturer, et rabattre le greffon sur 3 yeux. Mastiquer l’ensemble.
Et si la haie devenait plus qu’un simple écran végétal ? Un lieu de vie, de refuge, et de partage. Une source de nectar pour les insectes, de fruits pour les oiseaux… et pour les humains. Une haie qui se cueille, qui se savoure.
Alors la prochaine fois que vous verrez un pommier au bord du chemin, demandez-vous : et si c’était une vieille variété oubliée, revenue à la vie grâce à une simple greffe ?
Thierry Heins/François Schenini
Avec le soutient de